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Interview du Moi : L’hypersensibilité - Cathy Assenheim

Interview du Moi : L’hypersensibilité - Cathy Assenheim

Bonjour Cathy, aujourd’hui, nous te recevons sur psy.be pour parler de l’hypersensibilité, un grand thème auquel tu t’es beaucoup intéressé. 

 

Dimitri Haikin : Tout d’abord, nous parlons beaucoup depuis quelques années des personnalités hypersensibles. Dans quelle mesure la démocratisation de ce concept n’aurait-elle pas engendré un dérive ? Dans le sens où on aurait tendance à considérer aujourd’hui comme hypersensibles des personnes ayant simplement une personnalité empathique, sensible, proche des autres, avec le cœur ouvert. Quel est ton opinion là-dessus ?

 

Cathy Assenheim : Pour commencer, je refuse personnellement de parler de personnalité ou de trait de caractère, c’est d’ailleurs là toute ma conception. L’hypersensibilité découle de particularités cérébrales, qui impactent la perception et le traitement des informations émotionnelles et sensorielles. Je préfère donc parler d’un fonctionnement neuro-atypique. J’utilise d’ailleurs très peu le terme « hypersensibilité » en consultation, je privilégie celui d’hyper réactivité cérébrale.

 

En effet, oui, c’est important à souligner : tout le monde est sensible et possède donc une sensibilité émotionnelle et sensorielle. Mais certains le sont hors norme ! C’est ce qu’on appelle l’hypersensibilité. Et toute la difficulté est justement de pouvoir diagnostiquer cet aspect « hors norme ».

 

Alors bien sûr, il y a un effet de mode et c’est la raison pour laquelle je me bats pour réellement définir ce qu’est l’hypersensibilité. Et sortir des nombreuses idées reçues qui persistent encore. De fait, en ce moment, on parle tout le temps du côté émotionnel, alors que c’est bien plus que cela. L’hypersensibilité est d’office aussi sensorielle c’est-à-dire une réactivité hors norme dans certains sens qui peuvent être un peu, beaucoup, passionnément exacerbés. Pour moi, cet aspect est même prioritaire à l’émotionnel dans le diagnostic. L’autre chose essentielle est une prise en charge encore aujourd’hui trop souvent limitée à « la tête » alors que l’hypersensibilité impacte la personne dans sa globalité : elle a des conséquences émotionnelles, sensorielles mais aussi cognitives et physiologiques !

 

Dimitri Haikin : Les neurosciences et l’imagerie médicale ont permis de visualiser dans le cerveau ce fonctionnement atypique ? . 

 

Cathy Assenheim : En effet, cela fait une dizaine d’années qu’on est sorti de la conception psychologique de l’hypersensibilité. Il est aujourd’hui admis que l’hypersensibilité découle d’une hyper réactivité neuronale dans l’hémisphère droit. Les études ont montré que les influx nerveux, indépendamment de l’étendue du réseau, y sont beaucoup plus importants. La personne réagira donc plus vite mais également plus intensément face à tout ce qui est stimuli émotionnel et sensoriel. De plus, des études ont démontré qu’il y a un réseau de neurones miroirs, responsables de l’empathie, plus étendu et plus puissant dans le cas de l’hypersensibilité. Mais il est essentiel de noter qu’il y a une multitude de profils et d’intensités ! Les zones plus réactives que la norme, peuvent l’être un peu ou beaucoup ... cad limitées à certains aspects ou à tous les aspects émotionnels et sensoriels. Il est ainsi possible de parler, comme au sujet du QI (quotient intellectuel), d’hypersensibilité homogène ou hétérogène, c’est-à-dire spécifique ou généralisée.

 

Dimitri Haikin : Quelles sont les conséquences au quotidien de ce fonctionnement cérébral atypique ? 

 

Avant toute chose, il est important de comprendre que l’hypersensibilité n’est pas une maladie. Bien gérée, elle permet de grandes forces: des sens exacerbés, un décodage émotionnel très intuitif, une empathie très positive.  

Pour les aspects plus négatifs, cette réactivité exacerbée peut d’abord entrainer ce que j’appelle les débordements. Un cerveau qui capte plus a en effet plus de risques de d’être débordé en cas de trop plein d’informations émotionnelles et/ou sensorielles. Ce qui se traduira au niveau émotionnel par une intensité par toujours adéquates à la situation (les vagues émotionnelles)  ou ce qu’on appelle des hyperesthésies au niveau sensoriel (des sens qui saturent et ou le ressentit sera très désagréable). 

Ensuite, et c’est un aspect souvent oublié dans la prise en charge, un cerveau qui tourne plus, consomme plus ! L’hypersensibilité se manifeste également par des dérèglements physiologiques (nerveux et hormonaux) ainsi que des carences diverses en nutriments. Les personnes hypersensibles sont des candidats types à des troubles du sommeil, des dérèglements de la glycémie, des problèmes digestifs ou immunitaires ... et plus globalement à un risque accru de fatigue chronique ou de burnout !  

 

 

Dimitri Haikin : Pour quelqu’un qui se pose des questions sur la présence d’une hypersensibilité, comment peut-il/elle avancer concrètement dans la validation ou non de cette hypothèse et par la suite vivre avec ce mécanisme cérébral particulier ? 

 

Cathy Assenheim : En fait, il y a trois étapes par rapport à tout cela. 

 

La première, pour moi, c’est de se connaître dans ses particularités, à savoir d’identifier les aspects de la réactivité qui est hors norme. Puisqu’il n’est pas possible de changer son cerveau. Pour cela, nous avons le diagnostic. La plupart des professionnels fonctionnent de manière qualitative du fait qu’il n’existe pas de tests officiels. C’est pour cette raison que j’en ai créé un sur 8 aspects possibles, quantitatif par rapport à des normes d’âge et de sexe. Je l’ai d’ailleurs automatisé sur mon site internet.

 

La seconde étape est de pouvoir gérer au quotidien ce qui peut faire réagir excessivement. Pour cela, il faut d’abord apprendre à gérer les débordements qui sont inéluctables quand il y aura trop d’informations. A savoir disposer d’une boîte à outils mécanique et très concrète pour reprendre plus vite le contrôle quand le cerveau sature. C’est la base de mon approche, quand on comprend la cause, on peut agir ! J’ai développé dans ce cadre différents outils en fonction du type de débordement. Je les développe dans tous mes livres, entre autres « Mon cerveau est hyper », pour les adultes ou « mon enfant est hyper », pour les enfants de 6 à 12 ans. Mais également sur ma plateforme en ligne à travers des modules vidéo très pratiques.

 

La troisième étape essentielle dans la gestion de l’hypersensibilité, c’est de travailler en préventif sur les ressources et ces déséquilibres physiologiques. Car un cerveau qui a moins de ressources va davantage déborder ! C’est aspect est d’ailleurs souvent occulté, or il importe de gérer l’hypersensibilité dans sa globalité. Toute personne est une tête (un cerveau) mais également un corps, avec des échanges continuels entre les deux.

 

Dimitri Haikin : Donc l’hypersensibilité pourrait aussi jouer un rôle dans le burn out et dans différents troubles physiologiques ? 

 

Cathy Assenheim : Oui, les hypersensibles souffrent souvent de deux grands dérèglements hormonaux. Pour soutenir leur réactivité hors norme, leurs glandes surrénales tournent à plein régime en produisant davantage de cortisol, une hormone stimulante. Mais à force, les glandes surrénales peuvent fatiguer, et le cortisol devient déficient. Ce qui a des conséquences sur de nombreuses fonctions de l’organisme et est un des indicateurs clé de l’épuisement ! 

Un second dérèglement très fréquent dans cette population est une déficience de la sérotonine, à savoir l’hormone du calme et du bien-être. Celle-ci intervient également dans la régulation de l’anxiété et des émotions, la gestion de la glycémie mais aussi dans le sommeil puisque c’est un précurseur de la mélatonine. Quand sont taux est trop bas, cela entraine des montées anxieuses, des troubles du sommeil ou encore des compulsions sucrées. La spécificité de mon approche d’accompagnement de l’hypersensibilité est vraiment ce travail intégratif et global avec la personne : dans la gestion de ses particularités cérébrales, mais aussi au niveau du corps, de l’indentification et la prise en charge des dérèglements physiologiques spécifiques. 

 

Je recommande personnellement de faire au moins une fois par an un petit bilan des hormones clés que sont la cortisol et la sérotonine pour, si elles sont déréglées, pouvoir les réguler. Une alimentation adéquates et l’utilisation de compléments alimentaires peut également permettre une gestion préventive des ressources. 

 

Finalement, gérer son hypersensibilité, c’est la comprendre. Parce que quand on comprend, on peut mieux agir !

 

Dimitri Haikin : Existe-il des prédestinations à l’hypersensibilités ? 

 

Cathy Assenheim : Tout à fait, l’hypersensibilité est en grande partie génétique (40 et 60%). C’est pour cela, qu’en général, il y a des familles d’hypersensibles. Mais l’environnement influence également son expression : un environnement insécurisant ou trop stimulant va augmenter l’intensité de la réactivité. A l’inverse, un environnement plus sécurisant va faire que le cerveau va rester alerte (c’est son fonctionnement), mais de manière moins forte.

Et ça peut aller loin parce que dans un environnement de travail peu sécure ou encore une relation affective insécurisante, la réactivité va également être plus prononcée. En ayant une réactivité sensorielle par exemple, il va être très difficile de travailler dans un open space où il y a beaucoup de stimulations auditives et visuelles. Dans ce cas-là, cela va engendrer une fatigabilité accrue et un risque augmenté de burn out. 

 

Dimitri Haikin : Et alors, très concrètement, maintenant, comment les personnes qui nous lisent peuvent-elles trouver les informations pour commencer à mieux se connaître et à se faire aider ?

 

Cathy Assenheim : C’est vrai que pour le grand public, il y a une multitude d’informations et souvent beaucoup d’idées reçues dépassées. Beaucoup de gens se sentent perdus. C’est la raison pour laquelle j’ai créé une plateforme sur l’hypersensibilité https://www.cathyassenheim.com/ où j’ai rassemblé au même endroit toutes les dernières connaissances sur le sujet, mais aussi mes diagnostics en ligne, des vidéos pratiques. Certains outils sont gratuits, d’autres payants. J’ai également la casquette de chroniqueuse radio sur la RTPBF qui me permet de beaucoup communiquer sur le sujet. Et enfin, il y mes livres. Donc pour le grand public, il faut chercher au bon endroit et sortir de cette conception de traits de caractère ou de personnalité qui est complétement dépassée. 

 

Un autre aspect très intéressant est justement aussi cette évolution culturelle qui fait que maintenant, on peut parler de cette hypersensibilité, on y attache beaucoup plus d’importance. Il y a 15 ans, l’hypersensibilité était plutôt un tabou, dans cette conception d’une faiblesse psychologique, limite psychiatrique. On sait maintenant que ce n’est pas le cas et cela change tout. Les hypersensibles ont besoin d’être aidés et sont beaucoup à venir consulter pour un diagnostic ou pour un accompagnement concret et orienté solutions.

 

Je considère qu’environ une personne sur 4 est hypersensible, dans de multiples profils et intensités. En tant que professionnel de l’accompagnement, on ne peut donc plus passer à côté et il est crucial d’adapter la prise en charge de ces nombreux patients aux connaissances actuelles ! C’est dans ce cadre que j’ai créé HyperAcademy, une formation professionnelle certifiante à mon approche. Ce qui m’a permis de constituer progressivement un annuaire pour les patients, des professionnels formés par pays et spécialité. 

 

Dimitri Haikin : Et c’est pour cela que nous proposons ta formation sur psy.be dans notre rubrique « événements » et que les professionnels peuvent s’y inscrire et bénéficier d’une petite réduction s’ils sont abonnés à nos services.

 

Cathy Assenheim : Il est important que les patients puissent trouver des praticiens réellement formés à l’hypersensibilité. Beaucoup de patients se sentent complétement perdus, et lorsqu’ils consultent, se disent déçus de ne pas trouver un professionnel qui les comprend vraiment dans toutes leurs spécificités. Il est temps que cela change et que l’hypersensibilité soit appréhendée dans une approche globale et intégrative des patients ! 

 

Dimitri Haikin : Et bien merci beaucoup Cathy pour cette interview très riche. 

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