/ Par Dallaire Yvon / Vivre à 2
Peut-on faire du neuf avec du vieux (ou les conditions d'une séparation temporaire)
Un couple se marie ; un autre se sépare ; un troisième décide de prendre une trêve de trois mois. Ils s’aiment, mais ont de la difficulté à s’entendre. Tout est devenu source de conflit : les poils dans le fond du lavabo, le linge qu’elle laisse traîner un peu partout, la vaisselle qu’il ne ramasse pas lorsqu’il sort de table, ses longues discussions téléphoniques… La mèche est devenue très courte, trop courte. C’est pourquoi ils ont prévu, d’un commun accord, mettre de la distance entre eux, question d’éprouver la solidité de leur amour.
Il prendra donc une chambre au mois, pour trois mois. Elle restera à la maison pour mieux s’occuper de leur fils de deux ans et demi, fils qu’il viendra chercher tous les samedis. Ils sont mariés depuis cinq ans, après six mois de fréquentations passionnelles. Ils ont une belle petite maison, sont relativement à l’aise financièrement, proviennent de familles fonctionnelles, ont des emplois stables, une vie sociale agréable… Ils ont tout pour être heureux, mais ne le sont pas. Il a 32 ans, elle, 31. Elle s’appelle Nathalie, lui, Pierre. Ont-ils des chances que leur séparation provisoire les rapproche ?
Annie et Patrick, quant à eux, jouent au yoyo depuis qu’ils se connaissent. En dix ans de vie « commune », ils se sont séparés trois fois pour des périodes allant de quatre à sept mois. Quand ils reviennent ensemble, c’est la passion, passion qui dure le temps de cinq ou six relations sexuelles, deux ou trois semaines, quoi ; puis la routine reprend. Et tranquillement, le climat de tension qui avait présidé à leur séparation provisoire antérieure revient au galop. Ensemble, ils se disputent ; loin l’un de l’autre, leur désir renaît. Ils s’éloignent, ils se rapprochent.
Isabelle a quitté François sur un coup de tête après avoir appris l’infidélité de celui-ci. Il en était à sa deuxième. Mais voilà qu’elle ne peut l’oublier et voudrait revenir, et lui s’ennuie et promet que plus jamais…
Pourquoi en arrive-t-on là ?
Tout couple suit une évolution en cinq étapes bien étudiées par les intervenants matrimoniaux. Après la lune de miel, qui dure de trois mois à trois ans, vient inévitablement la lutte pour le pouvoir dans laquelle l’un et l’autre, croyant leur partenaire lié à vie, expriment davantage leurs attentes face au couple et leurs perceptions de la vie à deux, leurs insatisfactions aussi. Les jeux préférés des couples lors de cette étape : « J’ai raison, tu as tort », ou « C’est toi qui a commencé » ou « C’est de ta faute si ça va mal dans notre couple » ou « De toute façon, tu ne comprendras jamais rien ». Ou encore « Si tu m’aimais vraiment… ! »
Évidemment, tous ces jeux ne mènent nulle part, sinon à la construction d’une schismogenèse réciproque dont la fin est la soumission totale de l’un à l’autre, le divorce ou la séparation temporaire pour essayer de repartir sur de nouvelles bases. L’Organisation mondiale de la santé évalue à près de 50 % le nombre de couples qui divorcent, les unions libres n’étant pas comptabilisées dans ces chiffres. Quant aux couples qui refusent le divorce comme solution, la moitié se résigne et s’endure alors que l’autre moitié parvienne au partage du pouvoir, troisième étape de leur évolution. Ces couples ont décidé qu’il était préférable d’être heureux plutôt que d’avoir raison et ont appris que la majorité des conflits de couples étaient insolubles. Ils s’engagent (4e étape) à tout faire pour prendre soin de l’autre, ce qui est la véritable définition de l’amour et deviennent finalement (5e étape) des modèles à suivre pour leurs enfants et autres couples, parce qu’heureux même si imparfaits.
Il n’existe pas, à ma connaissance, de statistiques officielles concernant le taux de réussite ou d’échec des séparations provisoires. Mon expérience clinique me porte toutefois à croire que la séparation provisoire ne constitue en fait qu’une étape vers la séparation définitive. L’un et/ou l’autre, incapable de décider s’il aime encore son partenaire, mais pas assez sûr de lui ou d’elle pour faire le grand saut, garde la possibilité d’un retour au cas où… Au cas où il serait incapable d’apprivoiser sa solitude (la peur de la solitude est souvent la principale raison de la formation des couples), au cas où il ne trouverait pas un nouveau partenaire, au cas où la vie avec l’amant (prétexte fréquent, mais non avoué, à la proposition de séparation provisoire) se révèlerait impossible, au cas où effectivement l’amour renaîtrait avec le partenaire. Mais, en général, une fois un pied mis à l’extérieur, l’autre pied suit tôt ou tard. Toutefois, la proposition de séparation provisoire peut aussi venir d’une réelle intention de résoudre le déséquilibre qui s’est installé au sein du couple.
Le paradoxe de la passion
Tout couple est aux prises avec un paradoxe qui peut expliquer la proposition de séparation temporaire. Ce paradoxe est à la source d’un déséquilibre qui pousse des hommes et des femmes, pourtant amoureux de leur partenaire, à proposer une séparation pour tenter de rétablir l’équilibre perdu. Tous les couples sont un jour ou l’autre victimes du paradoxe de la passion où l’un des deux partenaires semble plus amoureux que l’autre : le désir de l’un de se rapprocher est plus grand que le désir de l’autre qui lui, au contraire, voudrait prendre de la distance pour permettre justement à son désir de l’autre de renaître. Celui qui désire se rapprocher et fusionner se retrouve en position de dépendance et de demandes continuelles, alors que celui dont le besoin d’autonomie est plus grand se retrouve en position de dominance et voudrait prendre de la distance, tout en se sentant coupable. Il étouffe dans la relation, mais continue d’aimer son partenaire dépendant qui lui exprime de plus en plus fréquemment la colère consécutive à la frustration de son besoin de fusion. C’est évidemment le « dominant » qui, le premier, soulève l’idée d’une séparation provisoire, afin de respirer et de vérifier s’il aime toujours l’autre.
Cet équilibre précaire entre le besoin de fusion et le désir de protéger son autonomie, son territoire, varie tout au long de la vie du couple. Il existe des couples où c’est la femme qui est toujours en attente de l’autre et l’homme qui est toujours sur la défensive. C’est parfois l’inverse. Mais il y a aussi de nombreux couples où ces rôles ne sont pas fixés de façon définitive et où l’un et l’autre se retrouvent alternativement en position de dépendance et de dominance. Cette lutte pour le pouvoir entre la fusion et l’autonomie est au cœur de toute relation amoureuse.
Les conditions gagnantes
La séparation provisoire peut donc parfois permettre à des couples de passer de la lutte pour le pouvoir (fusion vs autonomie) vers le partage du pouvoir qui, rappelons-le, constitue la 3e étape de l’évolution des couples heureux. Mais pour arriver à rétablir l’équilibre entre ces deux forces antinomiques, soit satisfaire le besoin légitime de fusion et le besoin tout aussi légitime d’autonomie, certaines conditions sont nécessaires. Nul couple ne peut durer s’il ne réussit pas à établir une « juste distance » entre la fusion et l’autonomie. Les couples heureux ne définissent pas l’intimité comme une fusion passionnelle intense, mais plutôt comme un « espace » entre la fusion et la liberté : « Je t’aime, mais je ne suis pas toi », « Je veux m’engager avec toi, mais j’existe aussi en dehors de toi ». La demande de séparation provisoire est alors un moyen d’affirmer ce droit à l’autonomie, ce droit d’exister en dehors de l’autre, tout en voulant continuer de dire à l’autre : « Je ne te quitte pas, mais j’ai besoin de me retrouver avec moi ».
Pour rétablir l’équilibre, le dépendant et le dominant doivent accepter de se remettre en question. L’un et l’autre doivent cesser les jeux de pouvoir destructeurs de la 2e étape. L’un et l’autre doivent arrêter de douter de la bonne volonté de l’autre et de croire que « Si seulement tu m’aimais vraiment… ». L’amour n’est pas en cause ; ce qui est en cause ici c’est la dynamique inhérente à toute relation amoureuse : les besoins de fusion et d’autonomie ne sont pas identiques chez les deux partenaires, un point c’est tout.
Le dépendant, lors de la séparation provisoire, doit en profiter pour apprivoiser sa solitude en trouvant de nouvelles sources de satisfactions et d’épanouissement personnel : trouver un nouveau défi, renouer des liens amicaux, s’investir dans son travail ou dans un nouveau loisir… afin de rehausser son estime de soi. Il doit cesser ses scénarios de catastrophes et arrêter de croire qu’il ne peut vivre sans la présence de l’autre, d’un autre. Le dépendant doit comprendre que, lorsque le dominant aura satisfait son besoin d’autonomie, il reviendra spontanément vers son partenaire parce que son désir de lui aura augmenté grâce à la distance. Donc qu’il a un pouvoir certain sur le rétablissement de l’équilibre relationnel nécessaire à l’harmonie conjugale.
Le dominant, quant à lui, doit d’abord cesser de se culpabiliser : il n’est pas responsable des frustrations de son partenaire. Il doit détourner sa colère contre lui-même, ou contre son partenaire, pour la canaliser sur la dynamique relationnelle et faire intervenir les principes du paradoxe. La loi fondamentale du paradoxe dit que, lorsque le besoin de fusion est satisfait, le besoin d’autonomie augmente, et vice-versa. Donc que la meilleure façon de se sentir libre dans son couple est de sécuriser son partenaire dans son besoin d’amour. La vraie question que le dominant, ou contre-dépendant, doit se poser n’est pas de savoir s’il doit « partir ou rester », mais qu’est-ce qu’il peut faire pour rétablir l’équilibre entre son besoin d’autonomie et le besoin de fusion de son partenaire.
Le dépendant doit cesser de croire qu’il est la victime du paradoxe et le dominant de croire qu’il est le seul responsable du paradoxe. Les deux doivent prendre conscience qu’ils sont les réalisateurs et les acteurs de ce paradoxe. Mais tout cela demande beaucoup de maturité. La solitude vécue lors de la séparation provisoire peut parfois être une source de croissance. Si, en plus, les deux en profitent pour consulter chacun de leur côté et d’entreprendre une thérapie conjugale avant de revenir ensemble, ils multiplient leurs chances de faire partie des 20 à 25 % des couples heureux.
Yvon Dallaire est psychologue, conférencier et auteur canadien de nombreux volumes sur les relations homme-femme : http://www.yvondallaire.com/livres/. Il anime une formation en thérapie conjugale positive (FTCP) http://www.yvondallaire.com/pdf/FTCP.pdf, formation réservée pour les intervenants en thérapie conjugale.
Dallaire Yvon
515-1495, Ave Roger-Lemelin - G1S 4E2 Québec
Articles publiés : 30
Type :
Psychologue
Spécialités :
Thérapie brève , Thérapie orientée solution
Problématiques :
Problèmes de couple
Publics :
Adulte , Couple
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